Albanie

Voyage de presse – novembre 2025

Lundi 3 novembre

Çobo vineyard

 

 

Un lundi matin, comme dans toutes grandes villes, la circulation bat son plein.
En attendant que Blerina fende le trafic pour nous récupérer, j’observe un policier qui joue du sifflet dans tous les sens, tentant éventuellement de fluidifier la circulation…? Nous nous en amusons, car il a l’air aussi peu convaincu que nous.
Avec un calme olympien, Blerina nous récupère en bord de route et nous voilà partis pour deux heures de trajet, direction Berat, au centre sud du pays.
Nous avons de la chance, la météo reste clémente malgré la pluie annoncée. Nous traversons Elbassan, qui à une époque, abritait beaucoup de combinats métallurgiques, aujourd’hui désertés, que l’on voit toutefois s’étendre sur des kilomètres.
La route continue, en pleine campagne, entre orangers et oliviers à perte de vue qui s’étendent sur les collines, parsemées de plusieurs petits lacs, conférant au paysage, un charme de tranquillité.
Nous allons un peu plus au sud de Berat pour une halte surprise, jusqu’à un domaine viticole familial du nom de Çobo, à Ura Vajgurore. Edi nous y attend pour nous faire visiter les lieux.

Un bout de ciel bleu finira même pas nous rejoindre en cours de route pour illuminer le domaine, tandis que la famille Çobo préserve le meilleur de leurs terres depuis environ un siècle. À une quinzaine de kilomètres de Berat où est située la majorité des hectares du domaine, la qualité reste le maître mot à mettre en valeur.

 

Une exploitation familiale à taille humaine, qui cultive des cépages de souche albanaise comme le shesh i bardhe, shesh i zi, kashmer, puls, kallmet. Bien sûr, comme l’explique Edi, pas de production pendant la période communiste, mais cela n’a en rien diminué la qualité de leur travail et d’un savoir faire, tout en gardant l’esprit vieux de 2400 ans de cette cité distillée dans leurs bouteilles.
Au moment de notre visite, des travaux d’agrandissement sont en cours, tout en préservant le style ancien qui le caractérise.
Dans la cave « aux mille bouteilles », comme j’ai envie de la nommer, Edi nous explique que l’exploitation s’est mise au vin pétillant à l’image du champagne, qu’ils ont choisi de nommer Shendeverë : un des plus beaux mots albanais selon Edi, qui exprime la joie et le bonheur de l’âme. En effet, quel plus joli mot pour qualifier les moments festifs à partager avec ceux que l’on aime ? Voici donc l’âme poète des albanais !

La production compte environ 8 000 bouteilles, principalement destinées aux commerces et restaurants locaux, ainsi que pour les visiteurs du domaine. Le tout monte à 100 000 bouteilles, pour l’export vers la Belgique, l’Allemagne, l’Italie et la Suisse. « Et la France ? », demande Olivier. Au vu de la grande production de vin dans notre pays, les vins albanais ne trouvent pas preneurs. Et pour avoir goûté, bien dommage ! Mais ce n’est pas très grave, puisque l’an dernier, ce ne sont pas moins de 15 000 visiteurs venus de 70 pays différents qui ont visité ce lieu agréable et ont eu la chance d’être guidé par l’enthousiasme d’Edi.

Tout comme l’usine d’huile d’olive visitée la veille, l’esprit est le même : produire en quantité raisonnable pour être sûr que la qualité prime.

Tandis qu’il ouvre une bouteille pour nous servir, je demande à Edi si je peux le prendre en photo. Assez timide, il dit qu’il doit apprendre à sourire un peu plus, et je lui répond seulement d’être celui qu’il est, tout naturellement. Et c’est exactement ce qu’il fait, me répond-il, tout en hésitant à trop regarder mon téléphone. Respectant sa pudeur, je n’ose donc pas trop le mitrailler pour tenter de capter son regard, et c’est très bien ainsi.
Lors de notre instant dégustation d’un « Puls » (vin blanc) dans le jardin, je demande à Edi depuis combien de temps il travaille ici. « Depuis 7 ans, et j’ai un autre travail à côté. Dans cette petite entreprise familiale, nous avons tous un lien spécial. C’est très agréable d’être ici, on ressent cette énergie, le local, la famille. Tout le monde se dit bonjour le matin, et en fin de journée on apprécie parfois de boire un verre ensemble. Ce qui n’était pas le cas dans un autre domaine dans lequel j’ai travaillé avant. C’est important de voir naître les sourires et de voir les gens heureux. C’est sûr que dans ces cas-là, le vin ça aide ! (rires). Quand on rencontre des gens sympathiques, il est plus facile de partager ce lien. Là, maintenant par exemple, on sent qu’on est tous sur la même longueur d’onde et qu’on partage quelque chose. Nous faisons toujours de notre mieux pour que les gens repartent d’ici avec le sourire ».

Même si nous ne faisons qu’une courte halte au domaine, l’expérience est réussie : le lieu, l’accueil et la passion d’Edi, un vin sec délicieux (et pourtant je préfère le rouge), tout est réuni pour une parenthèse en finesse, malgré le bruit des travaux en cours.
Nous dégustons tous ensemble notre verre avant de nous saluer, et déçus de ne pouvoir acheter au moins une bouteille qui ne passerait pas en bagage cabine pour le retour, et de remonter en voiture pour une quarantaine de minutes, direction Berat, où un autre guide nous attend.

Berat

Berat est une des plus anciennes villes du pays, fondée il y a plus de 2 500 ans, nichée dans un paysage vallonné où la nature s’étend. La rivière Osum la traverse, laissant apparaître sur la rive gauche, Gorica, le quartier chrétien, et sur la rive droite, Mangalem, le quartier musulman. Perchée sur les hauteurs de la colline Kalaja, se dresse la forteresse, où nous avons rendez-vous.
Tout en haut de la colline, accessible par une route pavée enfoncée par endroits pour avoir traversé les époques, se dessinent les remparts de la vieille ville fortifiée. Ici, tout est fait de bois et de pierres, les pierres blanches marquant l’époque illyrienne, et les rouges l’époque byzantine.

Notre guide au regard bleu nous explique que Berat fut occupée par l’empire romain, byzantin et austro-hongrois.

Au cours de la période médiévale, elle sera sous emprise byzantine, assez barbare, tout en subissant régulièrement des invasions slaves. Au XVe siècle, l’empire ottoman viendra la conquérir à son tour.

Le château de Berat compte trois paliers : tout en haut résidaient rois et nobles, au milieu, soldats et enseignants, et en bas fermiers et ouvriers.

Aujourd’hui, cette petite ville dans la ville, ultra fréquentée l’été, abrite des habitants à l’année. Nous avons de la chance de nous y trouver à une époque calme, et de ne croiser que quelques touristes et surtout des locaux, qui adorent s’installer en extérieur pour jouer aux échecs.

En tant que fier albanais qui sait mettre son pays en valeur, Ndriçim explique que certaines personnes pensent que l’architecture de la ville est d’influence turque, de part son passé ottoman, mais non, elle est typiquement albanaise, et insiste sur ce point. Peu de villes en Turquie lui sont semblables, tout comme une petite partie de la Macédoine, du Kosovo et de la Grèce.

« L’Albanie est unique à plusieurs niveaux : d’abord la nourriture, ensuite la langue, puis l’architecture », nous dit-il.

Pour plaisanter, Olivier qui organise le salon du voyage mettant l’Albanie à l’honneur en 2026 réplique : « vous ne seriez pas albanais par hasard ? »

Nous rions tandis que notre guide confirme : « Du côté de mon père, plus de 14 générations viennent de Berat ». Nous sommes donc bien chez lui, sur la terre de ses ancêtres. Et il est incollable sur son histoire.

Impossible de douter de la richesse de la culture albanaise qui réunit églises et mosquées, édifiées ça et là se succédant sur les chemins sans que cela ne pose de problème à personne. Et ce que dit Ndriçim se raccorde parfaitement à ce que nous disait Klara la veille :

« Une des meilleures choses concernant les albanais, est qu’on vit les uns avec les autres sans soucis, car on pense qu’on a bien d’autres problèmes que la religion ».

Je ne peux m’empêcher de lui dire qu’ils ont raison et sont plein d’intelligence sur ce point.

Nous arpentons un petit chemin menant à la porte du Paradis, et passons devant l’église de la Sainte Trinité, qui est fermée ce jour. Nous ne pourrons donc pas la visiter.

« Il y a la porte du paradis, car de l’autre côté de la cité se trouve la porte des enfers. Vous allez comprendre pourquoi tout à l’heure », nous prévient Ndriçim avec un petit rictus.

En prenant un peu de hauteur, nous trouvons à contempler le mont Shpiragut en face, principalement composé de calcaire et donnant l’allure de rainures, comme si’l avait été ratissé par un géant.
Pour la petite anecdote, Ndriçim nous explique que pendant la période communiste, était inscrit en géant afin que cela soit visible depuis notre point de vue, le nom « Enver », pour Enver Hoxha, qui n’était autre que le dictateur du pays. (photo n°2 : archive trouvée sur le net avec inscription). « Car pour lui, il était plus qu’un roi », ironise notre guide en nous racontant ce fait.
Ensuite, l’inscription fut modifiée en never avant de disparaître.
Folie des grandeurs ? Cela nous laisse bien une idée de la mégalomanie du personnage…!

Une fois franchie la porte du paradis, nous déambulons dans le large espace qui accueillait autrefois d’un coté une église, de l’autre une mosquée, détruites aujourd’hui.
Un peu plus loin, le reste du minaret de la Mosquée Rouge, une des plus vieilles de tout le pays, construite au cours du XVe siècle. Un fait très particulier l’accompagne : le minaret se trouve de façon très inhabituelle sur la gauche de l’entrée, et n’est donc pas bien orientée. Deux suppositions majeures subsistent : soit cela serait du à une erreur, ou bien, au vu de l’époque, effet volontaire pour mieux voir d’où arrivaient les soldats ennemis… ?

Quelques mètres plus loin, notre guide nous montre donc la porte des Enfers ! Quoique mieux conservée que celle du Paradis, en s’approchant on remarque bien que l’accès y est beaucoup plus ardu : un long et étroit chemin sinueux dans une pente qui laisse songer qu’au moindre faux pas, il est possible de ne pas en sortir indemne. Voilà donc tout simplement pourquoi cet accès porte un tel nom !

Encore quelques pas nous mènent au bout de la colline, offrant un panorama grandiose de toute la ville au pied du château. D’ici, on peut très facilement admirer le fleuve séparant les deux quartiers évoqués plus haut. Bien que le ciel soit gris, la vue est saisissante. Sur le côté, on peut plus facilement se rendre compte du chemin sinueux menant à la porte des enfers, qui devait effectivement être un sacré sport avec tout l’attirail de l’époque.

En redescendant, Ndriçim attrape des feuilles qu’il froisse dans sa main avant de me les tendre. « Avez-vous cette plante en France ? », et je fais part de mon ignorance : elle ne me dit rien mais je ne suis pas spécialiste en la matière. Je n’ai pas retenu son nom en albanais, mais c’est apparemment une plante magique ! « Une des meilleures pour le corps et la santé, et très efficace contre les calculs rénaux. Ici, beaucoup de gens la prennent comme médicament ». A bon entendeur si vous passez par là pour la tester !

Tandis que nous descendons les marches tous les deux en tête, notre guide m’explique : « En Albanie, on ne trouve pas de fruits exotiques, mais tout est local et de saison, ainsi que pour la viande. C’est notre façon normale de consommer les aliments, pour un meilleur goût et une meilleure qualité. C’est comme le bio, chez nous c’est juste normal et naturel, car nous n’avons pas, ou très peu de traitement. On trouve très peu de produits d’importation concernant la nourriture ».
Il existe donc bien encore des pays normaux ! Que l’avenir les préserve de tous ce qui peut les faire basculer du côté obscur de la force. Je n’ose lui dire tout ça, mais je le pense fortement, avec un pincement au cœur en pensant à l’avenir que le pays convoite : l’entrée dans l’UE, qui, à mon sens, sera le début de la fin avec toutes les normes à respecter, les contrats à signer… Bien évidemment, il est tellement légitime que les pays souhaitent se développer, attirer plus de monde, pour leur économie, mais jusqu’à présent l’histoire nous a bien montré le prix à payer…

Sur le chemin, Ndriçim, qui signifie lumineux, et on sait pourquoi, voit du raisin suspendu à un bout de vigne, perché assez haut. Il faut absolument qu’on le goûte ! Alors il se met en tête soit de sauter ou d’escalader le bout de mur pour l’attraper, même si on lui affirme que ce n’est pas nécessaire, il risquerait se tomber ou de se casser une jambe pour ça. Mais il finit par en obtenir un peu que nous nous partageons.

« Les Albanais ont eu faim, et ont connu des temps très difficiles, mais c’est ce qui fait qu’aujourd’hui ils ouvrent grand leur porte et leur cœur aux gens ».

J’avoue que depuis notre arrivée, le séjour se déroule dans ce sens ! Les Albanais veulent faire découvrir et faire plaisir, et ce raisin en porte toute la saveur.

Et cette langue alors, si unique qui ne ressemble à aucune autre malgré parfois des petites intonations tantôt italiennes, tantôt slaves ?

« C’est une langue qui vient de la terre, des éléments, par exemple avec le son de la pluie, les shh, ou encore des pierres, plus guttural. C’est une des plus vieille langue d’Europe après le celte. »

 

Il est maintenant temps de faire une halte pour se restaurer, et nous nous rendons au Mbrica restaurant traditionnal food, où notre hôte nous montre d’abord dans une petite salle, un musée familial privé avec divers objets conservés au fil des ans comme héritage. Puis, comme le temps est très doux bien que menaçant d’une pluie prête à tomber à tout moment, il nous installe vers le plus beau spot en mettant les tables à l’abri. Une nouvelle ribambelle de plats que l’on déguste avec gourmandise avant qu’on nous propose de goûter les trois sortes de raki faits maison : le premier à la grenade, le second au safran et le troisième au noix et miel. Avec un peu d’appréhension en souvenir du raki assez fort d’hier soir, on se laisse surprendre par la douceur de ces trois dégustations vraiment agréables.

 

 

Après moults cadeaux à déguster de notre hôte restaurateur, nous redescendons vers la ville nouvelle que nous n’aurons pas le temps d’aller explorer plus en détail car nous devons reprendre la route pour Tirana.
Notre guide tient à nous montrer une dernière chose avant de nous laisser repartir : nous faire visiter la mosquée du Roi, qui sera fermée ce jour… Tant pis…
En continuant notre marche sur la route principale où nous attendra Blerina pour nous récupérer en voiture, une autre mosquée s’élève, décorée de peintures sur les façades extérieures : la mosquées des Célibataires. Elle affiche de délicates peintures colorées sur la partie supérieure, représentant la Vie par des ornements floraux symbolisant l’utérus, avec l’ovulation, la fécondation, la gestation.
Dans ces cas-là, il est vraiment intéressant de se promener en compagnie d’un guide pour nous faire part de ce genre d’informations, car nous n’aurions jamais trouvé sans lui, tellement la représentation est subtile et délicate.

Un joli instant de beauté, avant de passer par une pâtisserie locale, la plus ancienne de la ville et la plus réputée, et notre petite photo de groupe finale à Berat (il manque notre Blerina qui attendait déjà dans la voiture en double file…) pour immortaliser cette généreuse journée.

Soirée à Tirana

Après cette journée riche en informations et en mouvements, cap sur Tirana où nous attend un autre guide pour une petite visite nocturne de la ville. Comme le mardi sera notre journée libre à déambuler dans la capitale, je garde donc les informations pour la journée de demain afin de faire un topo dédié à Tirana.

Une fois que notre guide nous salue, nous allons manger dans un lieu très convivial au centre de la ville, et comme le veut la coutume albanaise, partageons de nouveau plusieurs plats qui enchantent toujours autant nos papilles, ainsi qu’une bonne bière désaltérante !
Avec toute cette quantité d’informations pertinentes, entre enregistrements et photos, mon téléphone m’a lâché juste avant de reprendre la route pour Tirana. Et je continue à constituer un peu de matière grâce Klara qui me prête le sien par moment.

Après un défilé de plats entre fromages, légumes (et viandes) cuisinés, burek, salades, Klara et Blerina nous annonce avoir une surprise pour le duo de français que nous sommes, et nous les suivons pour un dernier verre dans un lieu atypique.

Pas de photos de l’extérieur, car il faisait bien nuit, mais une petite taverne à l’image d’un port d’escale de pirate se dessine dans une ruelle. Des tonneaux servent de tables, éclairés par des lanternes de style ancien, conférant une atmosphère d’un autre temps. Nous sommes au bar Hemingway !
Bingo ! Oui j’adore !

À l’intérieur, petit espace agencé comme une caverne d’Ali Baba, avec des petits détails et inscriptions partout, une lumière jaune chaleureuse qui poursuit cette traversée du temps.
Le propriétaire du bar, timide, n’ose parler à la journaliste que je représente pendant ce séjour pour raconter son parcours, mais nous accueille amicalement. Certains soirs, il se place devant le piano dans l’alcôve du fond, car l’esprit principal, musicalement parlant de ce lieu, est le jazz.

Dédié à Hemingway, dont le portrait est fièrement affiché au-dessus des bouteilles, ainsi que des citations inscrites ça et là, le petit bar au grand cœur propose une véritable identité artistique, rapprochant les amateurs d’art, de théâtre, de mots…
Cette adresse est un poème à elle toute seule, invitant à laisser les émotions prendre vie, pendant que le chat de la maison dort tranquillement dans son petit chapeau sous la mention ne pas déranger. si je tenais un bar, cela pourrait être le mien !

Klara et moi prenons le cocktail maison tandis que Blerina et Olivier choisissent d’autres options, et notre quatuor trinque à ce séjour. Les conversations sur autant de sujets variés que nos personnalités trouvent des oreilles avides d’en découvrir encore plus.
Phénomènes de société, parcours de chacun, questions métaphysiques… presque tout y passe dans cette ambiance légère, et Klara finit par dire : « nous avons quand même une chance incroyable d’être là, dans un bar à Tirana en train de parler de tout ça ». On se regarde tous avant de trinquer tellement elle a raison !

« La seule chose qui est dommage, c’est que ça va nous faire loin pour venir boire un coup !», voilà ce que je réponds, dans ce bar qui est largement devenu un de mes préférés, après une nouvelle incroyable journée.